Dans l’arrière-pays sicilien, les vendanges vont déjà bon train. La sécheresse qui accable l’île italienne a fait mûrir précocement le raisin et les rares pluies d’orage glissent sur la terre comme sur du verre. À Contessa Entellina, dans la province d’Agrigente (sud-ouest), il n’a quasiment pas plu depuis mai. « Entre octobre et fin juillet, il tombe en moyenne 650 mm d’eau. Depuis octobre 2023, on a enregistré 35% de précipitations en moins », constate Antonino Santoro, directeur technique et œnologue du domaine. En 2022 déjà, les vendanges avaient commencé le 29 juillet.
Verger fertile aux entrailles gorgées d’eau pure selon le mythe, la Sicile souffre chaque année davantage du réchauffement climatique qui éprouve durement les agriculteurs sur ce territoire naturellement aride. Dès la fin du printemps, l’eau ne court plus, sols et sources sont sevrés. Même les agrumes et les oliviers pâtissent du manque de précipitation et des températures caniculaires, qui ont établi en 2021 le record d’Europe avec 48,8°C.
Une indispensable irrigation
Avec 460 hectares et 3,6 millions de bouteilles par an (tous territoires confondus, y compris celui de l’Etna), l’entreprise Donnafugata a les reins solides. Elle s’est donnée les moyens d’irriguer en juin et juillet. « Avant, l’irrigation était utile, aujourd’hui elle est indispensable », plaide Antonino Santoro. Autour de Contessa Entellina, le domaine possède plusieurs bassins de rétention qu’il a fait creuser ou rachetés et qui satisfont environ 75% de ses besoins, le reste étant couvert par des réserves publiques.
Pompes et canalisations alimentent un système de « goutte-à-goutte » qui peut nourrir les ceps à raison de quatre litres d’eau par heure et par pied. C’est ce qu’on appelle la micro-aspersion. « Par opposition à l’arrosage ou à l’aspersion indiscriminée. L’objectif est d’optimiser l’usage de l’eau », explique le chef de culture, Giuseppe Milano. On a aussi fait monter la vigne à 1,50 m pour que le feuillage supérieur, telle une canopée, fasse écran entre le soleil et les grappes.
Sous un soleil de plomb, les employés du domaine récoltent les grappes au sécateur. Sur cette parcelle, du merlot. Le chardonnay, lui, a été ramassé dès juillet. Les ouvriers sont à pied d’oeuvre depuis l’aube. Il est 10H00 et il fait déjà 29°C. Pour la première fois, les autorités régionales ont interdit le travail des champs aux heures les plus chaudes de la journée, entre 12H30 et 16H00. Au gré des cépages et des terroirs, les vendanges vont s’étaler sur trois ou quatre mois sur l’île, « une situation unique en Europe « , affirme la Coldiretti, principale organisation professionnelle agricole d’Italie. La vendange, à Contessa Entellina, sera plus modeste en volumes que celle de l’an dernier. Mais ce qu’on perd en quantité, on le gagne en qualité, assure Giuseppe Milano.
L’irrigation a un prix (de 4.000 à 6.000 euros par hectare et par an) d’autant plus supportable par de grosses structures comme Donnafugata et sa trentaine d’étiquettes (rouge, blanc, rosé, pétillant…), alors que la superficie moyenne nationale est de 11 hectares, selon les dernières données de l’Institut national de la statistique (Istat). L’Etat a reconnu fin juillet à la Sicile « les conditions de force majeure et les circonstances exceptionnelles » dues à la sécheresse, « une des plus graves de ces cinquante dernières années », selon la région. Les exploitants devraient notamment pouvoir bénéficier d’aides et du report de leurs créances.
Situé à quelques kilomètres de Corleone, le village qui donna son nom au « Parrain » de Francis Ford Coppola, le seul domaine de Contessa Entellina s’étend sur 350 hectares. C’est également le pays qui sert de théâtre au « Guépard », le roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa qui y inventa un lieu, Donnafugata, emprunté par Giacomo et Gabriella Rallo pour créer leur domaine en 1983. Dans ces années 1860 qui servent d’argument historique au « Guépard », les vendanges ne commençaient pas avant septembre. Mais le raisin s’accordait alors aux saisons.
Aujourd’hui, Donnafugata participe à des projets de recherche devant permettre de préparer la vigne à l’évolution continue du biotope. « Je suis optimiste », assure Antonino Santoro. « La vigne s’adapte mieux que d’autres cultures ». L’an dernier déjà, le gel et les inondations au nord, le mildiou au sud, avaient coûté un quart de sa production à la filière viticole italienne et l’Italie avait cédé à la France sa place de premier pays producteur au monde, selon l’Organisation internationale du vin (OIV).